mardi 2 septembre 2008

Mardi 2 septembre 2218

A peine levé je filai me doucher. Aujourd'hui c'était jour de cohésion, chaque entreprise ou administration devait faire en sorte que ses employés partagent une activité de loisir au moins un jour par semaine. Aux employés de décider laquelle. On avait été un certain nombre à vouloir visiter le nouvel Airbus A980, une vraie ville volante, l'équivalent d'un terrain de football, mais nous n'avions pu faire le poids devant le nouveau parc de loisir Disney qui venait d'ouvrir.

Lorsque j'arrivai au bureau, tout le monde était déjà prêt à partir, oreilles de mickey sur la tête et poncho jaune fluo pour ne pas se perdre de vue dans la foule. En dépit de l'insistance de mes collègues pour que j'arbore cette tenue d'un chic achevé je préférai garder mon costume gris. Une fois de plus l'on me reprocha de "casser l'ambiance", ce qui n'empêcha pas mes camarades de passer tout le trajet à chanter en cœur "un jour mon prince viendra" ou "hé ho nous rentrons du boulot" tandis que je tentais désespérément de masquer ces braillement en poussant le volume de mon ipod au maximum. C'est donc déjà presque sourd, abruti par la musique et le trajet, que je me retrouvai devant l'immense coupole de verre au sommet de laquelle trônait une gigantesque souris noire en culotte rouge.

Je ne suis pas fan de l'univers Disney et encore moins des parcs de loisirs dont la principale activité consiste à vous faire vomir nos tripes tout en ayant l'air heureux, mais je ne pus m'empêcher d'être impressionné par le monumental dome de verre recouvrant le parc. En lisant la brochure fournie avec les billets d'entrée j'appris que celui ci était entièrement recouvert de cristaux liquides haute définition permettant de créer un véritable ciel virtuel, changeant au gré du temps et des évènements et que l'on pouvait même, pour la modique somme de quatre vingt euros y affaire apparaître un message personnel.

On avait cru un moment voir la fin des parcs de loisir lorsqu'en 2203 un terrible accident de montagne russe avait causé la mort de d'un millier de personne dont un tiers d'enfants. Un véritable cataclysme pour une société au taux de fécondité presque nul. Ce fut le plus grave accident de tous les temps, du moins en attendant le prochain. Je ne pus m'empêcher de trouver horriblement cynique le slogan qui figurait en lettres holographiques sur le grand panneau surplombant l'entrée du parc " Disneyland Paris, le parc de tous les records". A la suite de l'accident, au nom du principe de précaution, tous les parcs avaient dû fermer, l'humanité ne pouvait risquer de perdre d'autres enfants aussi bêtement. L'on croyait le sort de ces parcs définitivement scellé et la souris noire enfin enterrée, mais à peine treize ans plus tard, on annonça l'ouverture d'un nouveau parc élaboré et construit dans le plus grand secret. A grand renfort de publicité l'on appris que les attractions avaient été entièrement renouvellées et surtout qu'elles avaient été garanties fiable à cent pour cent par l'Office de Sécurité Infantile crée à la suite de l'accident par le gouvernement.

On pénétra dans le parc avec près de dix mille autres personnes, nous avions du mal à détacher nos yeux de la verrière, mais le spectacle qui s'offrait à nous à l'intérieur du dôme était tout aussi étonnant. Il n'y avait plus de montagnes russes, plus de catapultes et autres centrifugeuses humaines mais une multitude de petits domes à l'image de la voute principale, recouverts de cristaux liquides eux aussi, chacun diffusant une lumière et des motifs différents. Pour le coup il m'était impossible de jouer les rabat joie et je ne pus que suivre le groupe en silence, curieux de voir ce qu'il y avait à l'intérieur de ces étranges bulles irisées. Le nom de la première attraction rappelait celui d'une ancienne montagne russe: space dream. En voyant les parois intérieures du dome elles aussi recouvertes de cristaux je me doutais que nous allions disposer d'une vision à 360 degrés ce qui n'était pas vraiment une innovation. La vraie nouveauté résidaient manifestement dans les sièges recouverts de pastilles multicolores. Je m'installai dans l'un deux à l'instar de mes collègues et j'attendis non sans une certaine angoisse.

Lorsque la lumière s'éteignit, que le dôme s'illumina et que je commençai à ressentir d'étranges sensations précisément aux endroits où mon corps, à travers les vêtements, touchait les disques colorés, je compris, trop tard ce qui m'attendait. Le procédé était ingénieux: les disques de métal permettait d'envoyer dans le corps une onde qui, en atteignant l'oreille interne et le cerveau provoquait les mêmes sensations qu'une réelle montagne russe. L'écran à 360 degré achevait de tromper le cerveau en diffusant des images simulant la vitesse pendant qu'une soufflerie nous projetait de l'air sur le visage. L'illusion était parfaite, les sensations étaient réelles. Je pouvais ressentir toutes les sensations: vitesse, rotation, éjection...nausée. Je n'avais qu'une hâte, qu'elles finissent.

Je n'eus pas besoin de recommencer l'expérience pour avoir la certitude que les autres attractions de ce genre ne me plairaient pas davantage et je décidai de ne pas les partager avec mes camarades, préférant me cantonner au rôle de spectateur. Je trouvai celui ci bien plus amusant d'ailleurs. En dépit de l'obscurité je pouvais voir mes collègues roulant des yeux sous l'effet de l'onde, comme des divinités hindoues, levant les bras lorsque l'onde leur faisait croire qu'ils étaient en train de tomber, hurlant, riant. J'avais l'impression d'assister à une transe collective. Le spectacle finit par me lasser, je m'éclipsai pour continuer la visite du parc.

Mon oeil fut attiré par un îlot de verdure semblant dissimuler une sorte d'arène, probablement un de ces bassins aquatiques où de pauvres dauphins étaient obligés de faire mumuse avec des ballons pour avoir le droit de manger un poisson au lieu de leur bouillie de synthèse habituelle. Mais étrangement je n'entendais aucun bruit d'eau, seuls des éclats de lumière irisée filtraient à travers les palmiers en plastique. En arrivant dans les gradins je me retrouvai devant un spectacle holographique comme je n'en avais jamais vu. Des dauphins translucides virevoltaient dans l'air, accomplissant des figures hallucinantes avant de retomber dans une mare de lumière, provoquant des éclaboussures multicolores dont les spectateurs, par réflexe, cherchaient à se protéger. J'étais hypnotisé par ce que je voyais. A un moment, les dauphins virtuels en sautant, se mirent à former une à une les lettres de l'alphabet, très vite ils furent accompagnés par les spectateurs enthousiastes qui criaient au fur et à mesure de leur apparition. Lorsque le spectacle fut terminé je restai encore quelques secondes afin de profiter des derniers éclats lumineux qui étaient restés imprimés sur ma rétine tant ils avaient été flamboyants.

Encore impressionné par ce que j'avais vu je ne savais où aller et je finis par me retrouver dans le secteur des jeux vidéos. Ceux ci s'avérèrent bien décevants par rapport à ce que je venais de voir d'autant qu'une récente loi les avait contraint à limiter leur degré de réalisme afin que les utilisateurs ne fassent pas la confusion avec la réalité. Les lobbies familiaux avaient fini par se faire entendre après qu'un adolescent eut massacré son père à coup de hache parceque celui ci avait menacé de lui confisquer son "Imagination" la dernière console de Sony. Cette même loi imposait en outre que toutes les dix minutes de jeu, celui ci, quel qu'il fût, soit interrompu par l'affichage d'un message de prévention sur les dangers de la violence dans les jeux vidéos, message qui paraissait d'autant plus stupide lorsqu'il apparaissait au milieu d'un jeu de golf.

Au bout d'une heure de jeu et cinq "tuer c'est mal" qui avaient fini par me faire culpabiliser, je commençai à avoir la migraine. Je partis rejoindre mes collègues. Ils avaient réussi l'exploit de faire toutes les simulations de montages russes et ressemblaient aux zombies que je venais d'abattre. Pendant une seconde je m'imaginai en train de leur accorder le même sort avant qu'un "tuer c'est mal" se mette à résonner dans mon esprit. La navette de l'entreprise nous reconduisit à nos domiciles respectifs, l'ambiance durant le trajet fut beaucoup plus calme qu'à l'aller ce qui rendit les montagnes russes virtuelles un peu plus sympathiques à mes yeux.

Sitôt arrivé chez moi je me jetai sur mon canapé, espérant faire passer ma migraine sans l'aide de médicaments. Machinalement j'allumai la télé en prenant soin de désactiver la 3D pour ne pas fatiguer mes yeux davantage. Je fis le tour des chaînes et comme à l'accoutumé j'arrêtai mon choix sur la chaine info. Alors que j'étais en train de m'assoupir je crus entendre qu'on avait encore retrouvé un exo squelette dont l'hôte avait été maintenu artificiellement en vie en dépit de sa mort cérébrale. Selon le journaliste, l'exo squelette avait continué à vivre selon les habitudes du veillards pendant près de six mois avant que l'on se rende compte que quelchose n'allait pas. Je m'endormis avant la fin du reportage et me mis à rêver que des zombies en exosquelettes me poursuivaient, que des dauphins holographiques m'accompagnaient dans ma fuite, émergeant puis replongeant dans le bitume recouvert de pastilles colorées.

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