lundi 13 avril 2009

Dimanche 5 avril 2218

A peine levé je tentais d'allumer mon pc. Cela faisait six mois que je n'avais pas accès à Internet, ni moi ni 90% de la population mondiale. La raison? Le premier cyber attentat de l'histoire de l'humanité. Cela faisait plus de cent ans que le monde n'avait pas connu une attaque terroriste d'ampleur. Une fois de plus les agresseurs, un groupuscule neo-jihadiste, avaient su se montrer créatifs en détruisant les principaux serveurs informatiques, relativement facile d'accès, neutralisant ainsi presque intégralement le réseau.

En s'attaquant non pas à des cibles humaines mais à ce qui était devenu en deux siècles une partie intégrante de notre existence les terroristes avaient causé bien plus de victimes que n'importe quel autre attaque auparavant. La fiabilité du réseau avait permis que celui-ci prenne part aux activités les plus importantes de la vie des hommes si bien qu'en quelques minute l'humanité fut privée de communications, de médias, d'administration, de logistique. Les gens mourraient dans les hôpitaux, le réseau ne pouvant informer les soignants à temps, les services de secours, pompiers, privés du réseau téléphonique ne pouvait plus s'organiser ni intervenir à temps (cela faisait longtemps que l'on avait abandonné le réseau téléphonique commuté au profit de la VoIP). Le désordre avait bien évident provoqué nombre d'émeutes, la police ayant été elle aussi affaiblie. Enfin l'on ne comptait plus le nombre de suicides chez ceux dont les relations sociales reposaient entièrement sur le réseau. L'on dénombra ainsi plus de 10 000 morts des suites directes ou indirectes de l'absence d'internet. Il fallu six mois pour remettre en place un réseau fiable, stable et sécurisé.

Même si, comme tout le monde, ma vie a été grandement perturbée pendant cette période, j'estime n'avoir pas véritablement souffert de la situation. Pendant ces six mois où toutes les activités avaient été ralenties, j'en avais profité pour me remettre à la peinture, à l'écriture et surtout à la paresse. Il n'en reste pas moins que lorsque je découvris avec bonheur que le réseau avait été de nouveau rétabli – je n'ai jamais autant apprécié de voir du spam apparaître en allumant mon ordinateur – je me précipitais sur internet pour savoir plus précisément ce qu'il s'était passé.

La presse diffusait en boucle la vidéo de revendication des terroristes et le monde se rendit compte, à la surprise de tous, que Ben Laden était toujours vivant. Dès le début des années 2010 l'on avait annoncé sa mort après qu'il eût échappé à un nombre incalculable d'attaques dont il ressortait à chaque fois gravement blessé mais vivant, narguant les autorités par une vidéo avec à chaque fois une nouvelle partie de son corps remplacé par une prothèse. Ses généraux avaient finit par le remplacer devant la caméra et il fut acquis par tous qu'il avait enfin rendu son dernier souffle. Les services de sécurité du monde entier ne s'attendaient à le retrouver, en vie, et sous une forme toute aussi inattendue.

Ce n'était plus en effet cet homme au grand corps décharné qui était apparu dans la vidéo de revendication envoyée aux médias mais un exosquelette dont la seule preuve d'humanité était un cerveau relié à celui-ci et protégé par un épais verre blindé, comme dans un mauvais film de science fiction. Le bon goût n'était de toute façon pas la caractéristique du terrorisme. Bien évidemment les spéculations allaient bon train, comment Ben Laden avait il pu survivre tout ce temps? Comment avait-il pu avoir accès à la technologie des exosquelettes? Michael Moore fit remarquer que cet ancien modèle de prothèse était de technologie américaine et que la réapparition de Ben Laden au moment précis où le président américain rencontrait un certain nombre de difficultés politiques ne pouvait être fortuite.

Un certain nombre d'individus soupçonnés d'avoir participé à ce sabotage de grande ampleur furent arrêtés et l'on réfléchissait à la meilleure façon de les juger. Le problème, c'est que l'on ne pouvait les condamner pour autre chose que dégradation. L'on ne pouvait leur imputer la dépendance de la société à la technologie et son excès de confiance en celle-ci.

Il est amusant de penser qu'aux début de l'Internet, ces mêmes gouvernements qui réclamaient les peines les plus sévères à l'encontre des terroristes, avaient fait voter une loi interdisant l'accès au réseau à tous ceux qui téléchargeaient illégalement des fichiers. Ce fut paradoxalement ce qui consacra la gratuité des échanges numériques. Il se trouva en effet un certain nombre d'artistes, réalisateurs, musiciens pour manifester leur opposition à cette loi en autorisant officiellement que leurs œuvres soient échangées, téléchargées sans contrepartie si ce n'est d'avoir à écouter un message publicitaire en début de lecture. Leurs CD et DVD portaient un logo « Free To Share » qui empêchait de punir ce qui les diffusaient. En dépit de toutes les prévisions, les ventes de ces artistes n'en furent pas pénalisées, au contraire: les gens achetaient plus volontiers let la large diffusion des œuvres sur le net en facilitait la vente. Très vite le nombre d'artistes FTS augmenta tandis que ceux qui avaient choisi la protection de la loi continuaient de voir leur ventes décliner, le basculement du volume de téléchargement ne s'étant pas opéré sur les ventes. Il fallut moins de cinq ans pour que la pénalisation du téléchargement ne soit plus qu'un mauvais rêve...